Pourquoi pas nous

Extrait de l’atelier d’écriture photographique à Fleury-Mérogis

Tout le monde est assis dans la salle, les lecteurs sont répartis parmi les spectateurs. Sylvaine est seule au plateau. Elle démarre un thème de flûte, plutôt des rythmes (possibilité d’utiliser des boucles dans lesquelles on peut entendre PPN* ou bien la phrase en gras de celui dont c’est le tour). Sylvaine se lève, tous les acteurs se lèvent et lisent leur liste en même temps (brouhaha), puis chacun à son tour se rassoit et se tait. À la fin, il ne reste qu’une seule personne debout qui lit seule sa liste en se dirigeant vers le plateau. Sylvaine a supprimé les boucles petit à petit. Quand le lecteur arrive sur le plateau, silence et l’on n’entend plus que la phrase en gras. Puis ça recommence comme ça neuf fois, jusqu’à ce que tout le monde soit sur le plateau, en ligne, face publique.

Prisonniers Point Net
Personne Pas Nette
Prisonnier Perdu Négatif
Prisonnier Perçu Noirceur
Personne Prisonnière Nulle
Profession Pénitentiaire Nulle
Patient Probablement Normal
Le Placard est Propre Naturellement
Le Parloir Nous prend les Nerfs
Ne Prends Pas les Nuages
Prisonnier Point Net

Pourquoi Pas Nous
Paris Pour Nous
Papa Papi Nounou
Pourquoi Pas Nous
Parle Pas Narvalo
Pourquoi ils Parlent de Nous
Pourquoi Pas Nous
Pauvres Pensées Neuves
Peine Purgée Néfaste
Pistes Perdues Nombreuses
Pourquoi Pas Nous

Pour Pas se Noyer
Prisonnier Pour Nada
Pensée Pas Naturelle
Pourquoi Penser Noir
Des Photos Pour Nous
Prisonnier Pas Normal
Prison Pas Neuve
Portrait Pas Normal
Pourquoi Partir au Nord
Pourquoi Partir en Norvège
Pour Pas se Noyer…

Ce sont les premières pages du cahier de mise en scène sur laquelle nous travaillons avec le groupe de détenus participant de la Maison d’Arrêt des hommes de Fleury-Mérogis pour ces troisièmes et dernières Correspondances panoptiques, dont la restitution publique aura lieu le 27 juin.
Je suis arrivée lundi matin avec ces pages constituées d’un montage de leurs textes et de ceux des élèves de seconde du lycée Einstein, co-auteurs de ces correspondances. J’avais commencé à réfléchir à une mise en espace et en voix chorale, dans laquelle Sylvaine, la musicienne qui accompagne ces projets, trouverait sa place tout en gardant une force de proposition. Je me redisais à quel point je devais créer cette place pour elle et pour eux, et comme il était essentiel de leur donner envie de la prendre, de s’en emparer, de faire avec moi, de faire ensemble.

Seulement voilà, lundi, ils étaient à peine réveillés pour certains, tout juste tombés du lit de la cellule, dont la porte ne restera pas longtemps ouverte s’ils ne se présentent pas très rapidement à l’activité. Hébétés pour d’autres, disponibles mais comme encore ahuris d’être là, à Fleury, dans l’attente d’un jugement, d’une notification, et enfin timides ou réservés pour certains. Mais surtout très loin de mes propositions de mise en scène, peu familiers du théâtre, de la lecture à voix haute, de la polyphonie, de la mise en espace, du mélange de sa voix avec la musique, avec les voix des autres. Alors je parle, pendant une heure et quart, je parle avec eux, j’essaie de les emmener, de capter leur attention, de les convaincre presque de ne plus penser qu’à ça, d’essayer au moins… je parle et puis je m’arrête. À un moment je ne peux plus. Confrontée à une organisation dans la mise en scène qui ne marche pas, je bloque, littéralement, je ne sais plus.
En dix minutes, calmement et simplement, comme une évidence, deux d’entre eux ont débloqué et terminé la mise en scène, et c’était moi cette fois, ahurie, qui les écoutais me dire comment on allait faire.
Nous étions parvenus à trouver cet espace, un fort bon augure pour notre création.

Valérie Dassonville

* PPN : acronyme de Portraits Pas Nets, l’une des trois consignes d’écriture photographique sur laquelle ont travaillé détenus et lycéens en compagnie d’Ernesto Timor.

• Le livret des Correspondances Panoptiques III, imprimé à la mi juin, est aussi disponible en ligne sous forme de PDF comme le précédent : Volume III ; Volume II.
• La ville de Sainte-Geneviève-des-Bois exposera de septembre à décembre 2011 une sélection de 22 diptyques grand format en extérieur, complétée par une exposition en novembre à la Médiathèque.
• Les Correspondances Panoptiques seront intégralement projetées le 29 juin au Bal à Paris, à l’occasion de la signature de la convention triannuelle Culture-Justice entre la DRAC Ile-de-France et la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires.
• D’autres articles du site sur ce projet :
Traces d’écriture photographique
Depuis Fleury-Mérogis
Correspondances panoptiques, vol.1