Le 11 janvier dernier s’achevaient sur la « scène » de l’ancienne chapelle d’un bâtiment de la Maison d’Arrêt des Hommes de Fleury-Mérogis les Correspondances panoptiques, deuxièmes du nom. Emmenées par des artistes du Théâtre du Menteur aux pratiques et expressions artistiques complémentaires*, ces Correspondances tissent un lien poétique entre un groupe de détenus, participants volontaires, et une classe du lycée Einstein de Sainte-Geneviève-des-bois (encadrée par ses enseignants de français et philosophie).
D’une semaine l’autre, durant un mois et demi, les images photographiques et les textes vont se répondre consciemment ou inconsciemment, pour former des diptyques aux légendes métaphoriques et universelles. L’empathie n’est pas exigée, pourtant elle semble motiver chaque composition, chaque interrogation, chaque soulèvement de plume au point qu’il devient difficile de s’y retrouver : cette photo, elle a été prise à Fleury ou au lycée ? ce Nabil qui écrit ça, il fait partie de la classe ou de… ? D’ailleurs, même eux ne s’y retrouvent plus, n’en reviennent pas de correspondre aussi facilement, jusqu’à confondre une certaine part de ce qui les anime au-delà des contextes. Pas d’angélisme, seulement le sentiment, pendant ces quelques semaines, de rétablir un récit collectif indispensable à notre vie sociale.
Ce travail de création donnera lieu à un livret édité et remis aux participants, témoin tangible de cet échange qui peut également se consulter en ligne sur le site du Théâtre du Menteur (voir en bas de page).
Il s’agissait ensuite de façonner un texte, de chercher à faire apparaître (ou surgir, selon l’humeur) une dramaturgie de ces Correspondances puis de le mettre en voix, en espace et en sons avec les détenus de l’atelier, jusqu’à en faire une représentation pour ceux du bâtiment qui pousseraient la curiosité jusqu’à nous.
Réaliser une création collective en 6 ou 7 séances de 2 heures (théoriques…) dans une salle de 20 mètres carrés, en se confrontant aux aléas de la détention, n’est pas chose aisée.
Seulement voilà, c’est justement cet « improbable » qui nous unit, le sentiment clair de l’immense rapprochement que chacun exerce envers les autres pour que cet espace apparaisse, cette démarche insensée dont il ne sera bientôt plus question de se passer et qui nous est nécessaire jusque dans son utopie la plus féroce.
Pour que nous soyons sur scène (artistes et participants) ce mardi 11 janvier devant 45 détenus spectateurs, il a fallu que chacun intègre parfaitement et protège cette frêle embarcation que fut notre création, fragile et poétique, faite de rage, de mots d’amour, d’altérité, de muscles, d’envie d’en finir et surtout, surtout de confiance et d’écoute.
Peut-on parler de « grâce » quand sont réunis une cinquantaine de détenus, un ou deux surveillants, et quelques artistes pour qu’ait lieu la représentation de cette autre Babel ?
Quand on a pesé les silences, pris la mesure de l’écoute, vu les acteurs trembler du vertige que procurent de telles initiatives, imaginé qu’on aurait pu ne pas imaginer, alors, on n’en parle pas sans doute, mais on sait qu’elle peut avoir lieu, ici comme ailleurs.
Valérie Dassonville (fraîchement sortie de Fleury)
* Artistes intervenants de ce volume II (par ordre d’apparition : Valérie Dassonville (coordination et mise en jeu), Ernesto Timor (photographie), Céline Liger (écriture et jeu), Denis Malard (son).
Vous pouvez consulter une version PDF du livret du Volume II…