Et on se mit à frémir

Contribution de Quy Hanh, via Main Tenant

Chacun vivait dans son coin. Chacun mangeait seul, riait distinctement, n’aimait que soi. On rêvait aussi beaucoup, mais d’un autre que soi.

Et de ce fatras de solitudes et de rêveries entremêlées, émergea de la vie, plus de vies encore. Comme dans une forêt éclairée par les premiers rayons du matin, tous se rendirent compte que l’air bruissait de sons, que les couleurs habillaient les formes et que les ombres emplissaient les pièces. Toutes les choses paraissaient des êtres qui s’animaient, chantaient parfois, pleuraient même. Et on se mit à frémir —je connus ainsi mes premiers frissons la nuit, car désormais au fond de mon lit, je n’étais plus seule. Je n’étais plus dans mon coin.

Quelquefois, le vent semblait courir à pas légers ; quelquefois il laissait échapper des plaintes ; tout à coup, ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore.*

Et alors chacun (moi compris) commença à aspirer à plus de calme, à désirer le silence, qu’on ne trouvait plus que dans le vide. On rêvait de nuits solitaires, blanches ou noires, mais sans toutes ces étoiles clignotantes qui sans cesse parlent d’amour entre elles. On rêvait de profonds océans où, aveugle, l’on ne pourrait plus voir virevolter mille poissons multicolores. Même l’espace galactique provoquait des fureurs d’évasion à bord de fusées flamboyantes et lointaines. Alors, pour se plonger dans cette solitude tant aimée, chacun fit le même mouvement, chacun ferma la porte aux rêves — tous ensemble.

* François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.

 

Merci au blog Main tenant qui a relayé cette consigne et à ses lecteurs qui ont été nombreux à répondre à l’appel !