Cet homme-là

Contribution de Nous Deux, via Main Tenant

Chacun vivait dans son coin ce printemps-là. Je l’avais croisé à plusieurs reprises dans les couloirs de l’hôpital, sans le frôler puisque tout nous semblait inutilement dangereux. Mais, derrière son masque, j’avais deviné à son regard déterminé que rien ne pouvait l’arrêter. Il était en lutte pour la vie, pour nos vies. Aucun retour possible sur le passé, nous n’en n’avions pas le temps et pourtant il était là. Sa taille imposante et ses gestes calmes nous rassuraient. Sans lui parler directement, je m’accrochais à ses paroles qui ne doutaient pas. Cet homme-là pouvait nous sauver. Bien sûr, je savais qu’il ne m’était pas inconnu, et une nouvelle fois l’atmosphère aseptisée de l’hôpital évaporée, elle laissait place aux parfums des narcisses que j’avais cueillis avec lui, dans un autre temps, une autre vie, celle de l’insouciance et des désirs.

Mais je m’accrochais à son regard déterminé, implacable ; l’avenir lui appartenait, et il nous le transmettait.

Nos regards apeurés cherchaient son regard, guide dans la tourmente. Nos gestes égarés se posaient sur ses mains précises ; nos corps fatigués s’appuyaient contre sa haute stature ; nos pensées effrayées tentaient de rencontrer les siennes, consolatrices. Je le connaissais, c’était avant, ça avait été lui, et ce serait lui, ma force vitale.

Les gens changent, mais ton père était un des hommes les plus beaux que j’aie jamais croisés. Je parie qu’il l’est encore.*

Il l’est toujours et, malgré le présent, nous serons dans le futur toujours ensemble.

 

* Gabriel Tallent, My absolute darling.

 

Merci au blog Main tenant qui a relayé cette consigne et à ses lecteurs qui ont été nombreux à répondre à l’appel !