La reine des truffes

Contribution de Ghislaine, via Main Tenant

Chacun est dans son coin.
Mis sur pause. Le temps semble s’être arrêté.
Je feuillette un livre de cuisine médiévale. Entre la page Potage d’été des moines du pays de Sénanque et Cocotte de truffes aux lentilles et basilic pourpre est glissé un petit marque-page, bout de papier oublié, un peu chiffonné, ticket de caisse de la boutique Au nom de l’arôme, 25 euros pour une truffe…
Je bondis. Mais oui, je l’avais oubliée cette truffe noire achetée à Noël, mise sous vide pour que ne s’altère point son subtil parfum terreux et minéral… !
J’explore avec frénésie le réfrigérateur.
Elle est là !
Elle est là !
Intacte dans son sachet fraîcheur.
Elle n’attendait que moi !
Je jubile. Une merveille !
C’est une denrée rarissime en ce moment !
Mon cerveau surexcité bascule en mode moteur de recherche, établissant une savante équation entre la truffe et le peu de choses restant dans les placards…
Risotto de foie gras aux truffes et langoustines… foie gras, non, langoustines… non.
Pâtes aux truffes ? Pâtes… oui!
Brouillard d’œufs à la truffe ? Œufs… oui!
Religieusement percer l’emballage protecteur de ma précieuse…
Mais elle me semble toute chafouine cette truffe… petit visage tout ridé, suintant, pleurnicheur, humide comme la truffe d’un basset artésien…
Et que dire de l’odeur… Âcre, terreuse, à vrai dire… nauséabonde !
Consternation.
Dépassement de la date de péremption !
Que faire ?
L’émincer en tranches fines ?
La râper pour saupoudrer quelque plat ?
Que nenni !
Rie n à faire, cette truffe pue !
Oh ! Je suis la reine des truffes ! On me l’a déjà dit… Quel désespoir d’avoir laissé un mets si délicat se périmer !
Il faut sans délai la mettre au rebut.
Par chance il reste encore un paquet de chips à la truffe blanche et de bonne date cette fois.
Mince consolation, mais c’est toutefois appréciable…
En ces temps de grande solitude, il faut savoir faire feu de tout bois.
Profitons donc de l’instant présent.
Rangeons le livre de cuisine.
Jetons le marque-page.
Et croquons, mollement affalé sur un divan moelleux, cet ersatz de truffe, en rêvassant de voyages en Italie et de gastronomie en attendant patiemment le temps de nous retrouver tous ensemble.

 

Merci au blog Main tenant qui a relayé cette consigne et à ses lecteurs qui ont été nombreux à répondre à l’appel !