Mélanie n°3722

Contribution d’Alisson, via Main Tenant

Chacun vivait dans son coin avec pour seule compagnie un ou plusieurs humanoïdes. On s’achetait son premier humanoïde à sa majorité comme on s’achetait autrefois sa première voiture. Les humains de la première génération ne se côtoyaient qu’en respectant une distanciation d’un mètre minimum. Les marquages au sol et les alarmes, détectant les distanciations non respectées entre humains, avaient toujours fait partie de leur quotidien. A leur naissance, dans un laboratoire appelé centre de conception, c’est un humanoïde qui les touchait pour la première fois. Les nouveau-nés étaient extraits d’une poche amniotique artificielle. Ils étaient ensuite envoyés dans un centre d’éducation jusqu’à l’âge de 16 ans. Les humanoïdes programmés pour être des éducateurs élevaient des centaines d’enfants en veillant à chaque instant qu’aucun d’entre eux ne se touche. C’était souvent vers l’âge de 6 ans que les enfants demandaient pour la première fois pourquoi ils ne pouvaient pas toucher un autre humain. La réponse était toujours la même : « Nous sommes les protecteurs de l’humanité. Nous avons été programmés par l’un d’entre vous il y a fort longtemps pour sauver les humains d’eux-mêmes. Touchez-vous et vous mourrez. » Il s’ensuivait une démonstration si effrayante pour des enfants de cet âge qu’ils ne reposaient plus jamais la question. Lorsqu’arrivait le moment de quitter le centre d’éducation, les jeunes recevaient la clé d’un appartement de 18 m² ainsi qu’une carte magnétique leur indiquant le métier qui leur était attribué. Dehors, des écrans géants peuplaient chaque coin de rue pour rappeler aux humains qu’ils ne pouvaient être heureux sans posséder un humanoïde.

Lorsqu’Isaac choisit son premier humanoïde, il opta pour le modèle « Mélanie ». Une humanoïde brune et rondelette aux yeux verts. Trois jours plus tard, Isaac poussa la porte de son appartement en fin de journée et découvrit dans son entrée un carton à taille humaine. Il était étiqueté « Mélanie n°3722 ». Il s’empressa de déballer son humanoïde et de lui presser la main. Mélanie ouvrit lentement ses yeux et lui ordonna : « Blottis-toi contre moi. » Isaac s’exécuta. Il lui semblait que toutes ses émotions négatives traversaient son corps pour se réfugier en elle. Pour la première fois de sa vie, il ne se sentait plus seul. Soudain, il se rendit compte qu’elle sentait la transpiration. Il voulut se dégager de son étreinte mais Mélanie le retenait.

— Tu es humaine ! Lâche-moi, nous allons mourir. S’écria Isaac.

— Ne panique pas et regarde, nous pouvons nous toucher sans mourir. Lui susurra Mélanie, sans le lâcher.

Isaac s’écarta violemment et inonda Mélanie de questions.

— Qu’est-ce que vous me voulez ? Pourquoi pouvons-nous nous toucher ? Pourquoi ressemblez-vous au modèle d’humanoïde Mélanie ?

— Je conçois l’enveloppe corporelle des humanoïdes. J’ai créé le modèle Mélanie à mon image. Et cette semaine j’ai découvert par accident que nous ne mourrons pas lorsque l’on touche un autre humain. Je suis persuadée que les humanoïdes ont inventé cette histoire pour nous contrôler.

— Vous êtes folle, s’énerva-t-il.

— Ecoutez-moi, je vous en supplie. J’ai besoin d’un programmeur et vous êtes le seul dans cette ville.

Mélanie passa des heures à essayer de convaincre Isaac d’infiltrer un virus dans les programmes des nouveaux humanoïdes. En vain. Il finit par la mettre dehors en la priant de ne jamais revenir. En sortant, Mélanie l’avertit qu’elle n’abandonnerait pas. Isaac ne ferma pas l’œil de la nuit, se remémorant sans cesse chacune de ses phrases. Comme elle le lui avait dit, il arriverait ce qui arriverait et il faudrait alors se préparer à l’affronter. Ensemble.

 

 

Merci au blog Main tenant qui a relayé cette consigne et à ses lecteurs qui ont été nombreux à répondre à l’appel !