Alors chacun·e…

Contribution de Mélissa via le Décaméron

La routine venait enfin de s’installer. Tous les matins, la douche, l’habillage, le maquillage et puis les dix minutes de marche pour rejoindre ce nouveau travail. Deux petites semaines pour calmer les battements angoissés et bien trop rapides d’un petit cœur en plein chamboulement. Mais ça y est, la vie a trouvé son nouveau rythme, son nouvel équilibre entre soi et les autres. La routine venait enfin de s’installer, repliée sur moi-même, j’avais trop à penser pour prendre totalement conscience des autres.

Et puis d’un coup.

D’abord ces quatre murs à fixer pendant des semaines. Une solitude promise par le danger menaçant qui ne cessait de s’accumuler au-dessus de nos têtes. La porte d’entrée devient étrange objet qui semble nous narguer à chaque passage, et semble si lointaine. Les habitudes se réinventent à nouveau et la connexion au monde extérieur est balbutiante dans sa renaissance. Comment s’évader sans sortir ? Comment être ensemble sans pouvoir se croiser, se serrer la main ou s’embrasser ? Comment trouver le contact chaleureux et singulier des corps dans cet espace vide et solitaire ? C’est un étrange sentiment que celui de voir des millions de personnes dans une situation similaire à la sienne, coincés sans savoir que faire, protégeant soi-même et les autres par l’inaction et l’immobilité. Mais l’esprit n’est pas fait pour la solitude, même si elle est heureusement une oasis régulière. Alors chacun·e, de sa fenêtre, depuis son écran, avec son téléphone ou son rétroprojecteur, réinvente son rapport à son voisin·e, ses ami·es, des proches, et les inconnu·es. Quand celleux qui soignent et sauvent le monde, se pressant jusqu’à l’épuisement auprès des lits encombrés, nous cherchons tous·tes de notre côté comment ne pas rester immobile face au désastre. Que puis-je offrir moi qui ne suis pas dans cette situation terrible où je mets ma vie en danger chaque jour pour les autres ? Moi qui ai le luxe de me protéger ? Comment créer à nouveau un « ensemble » ou chaque jour chacun·e œuvre pour la société ? Comment je réinvente ma participation à l’effort humain qui nous maintient hors de l’eau ? Comment aussi me sortir de la culpabilité d’un désœuvrement ? Alors les bourgeons éclosent et les initiatives naissent de-ci de-là, pour que malgré la séparation les cloisons et la peur, nous soyons ensemble de nouveau. On se tient la main sans se toucher, on s’étreint sans même se frôler.

 

Merci à la cie Superlune qui a relayé cette consigne pour le final de son Décaméron et à toutes celles et tous ceux qui ont répondu à l’appel !