Au moins, pendant la guerre, on était ensemble

Récolte de paroles, Résidence Les Essentielles, Limeil-Brévannes, 17 février 2020
Texte offert par les paroles de Lulu, Gérard, Christian, Bernard, Renée, Lucien, Serge, Jacques, Augustin, Nicole.

Dans les pays chauds et dans les pays pas chauds, chacun vivait dans son coin, avec sa timidité, son incapacité à se dépasser sans le secours des autres.

C’était pire encore dans les grandes villes, où les gens ignoraient leurs prochains, indifférents à tout autre qu’eux-mêmes.

Il y en a un qui disait : « Dans ma rue, au début, nous étions bien deux cent à y habiter ! Tout le monde se connaissait, on s’invitait, on se rendait service. Au fil du temps, les habitants des origines sont partis, ailleurs ou bien pour toujours. D’autres gens sont arrivés, se sont installés ; ils venaient de partout au monde, ils vivaient à leur façon, des communautés se sont créées, des alvéoles, comme dans une ruche… c’était chacun chez soi, chacun pour soi… »

Moi, du pays où je vivais, j’ai été chassé ! Et dans mon exil, j’ai été séparé de ma communauté. J’ai dû apprendre à vivre seul, apprendre à revivre, autrement… C’était comme de vivre la nuit, chacun de son côté, chacun dans son sommeil !

«Bien sûr ce n’est pas facile de vivre ensemble ; nous sommes tous très différents les uns des autres, nos caractères, nos langues, nos mentalités, nos religions, nos niveaux des vie, tout est différent !

« Tout le monde se fiche de tout. Au moins, pendant la guerre, on était ensemble, solidaires, camarades ! Mais maintenant plus personne ne connait personne, on ne s’aide plus, au contraire… Toute vie n’est que trafic… »

Pourtant c’est l’universalité qui nous tournera vers l’amour…

Quelqu’un a dit : « Aimez-vous les uns les autres »… on devrait l’écouter…

Seul, seule, seuls, seules !

Seul comme un chien, un sanglier, un ours, une girafe, un ver solitaire, un fennec !

Seul comme Baptiste, comme un homme !

Seul comme un monocle, une serpillère, une vieille chaussette, un balai, une pelle, un coquetier, seul comme le monde !

Seul comme une morne plaine, comme le feu, un clair de lune, un soleil, un astéroïde, une cascade, seul comme le désert, comme une île !

Moi je vis dans mon coin… c’est un coin abandonné, c’est une aurore boréale, il y fait sombre pourtant, je me tiens derrière la porte, à côté d’un tableau, comme un élève puni du bonnet d’âne… Je me sens comme dans une cave, une prison, un grenier…

Et dans ma solitude j’entends une musique qui sort de tout au fond de mon coin, un bruit de courant d’air, une porte qui grince et qui claque, des voitures au loin, l’orage et la pluie frappant les vitres, une moto qui passe en pétaradant, j’entends surtout le silence…

Dans mon coin ça sent la mort, le sapin, la poussière et l’humidité, ça sent l’orage et l’angoisse, parfois l’immortalité. Mais d’autres fois ça ne sent plus rien dans mon coin…