Contribution de Serge, Paris
À l’unisson, les villes, les campagnes, tout le pays s’est mis à ronfler. Le jour un peu, la nuit beaucoup. Impossible de dormir. Tout le monde ronfle, ce qui est source de bien des problèmes dans les appartements et dans les maisons, chacun accuse l’autre de ronfler. Les couples se séparent et vont dormir dans le canapé ou dans la baignoire. Les cris d’énervement réveillent les enfants et au petit matin tout le monde est fatigué pour aller travailler ou aller à l’école. Ou pour aller chômer car le chef du pays, Uber Perlimpinpin de Macrouille, dit « Tout-en-un » car depuis tout petit il veut tout faire en même temps, a mis le tiers de la population à chômer. Ça lui fait de la réserve à pas cher sous la main.
Dans les appartements et dans les maisons, donc, les ronflements les plus forts traversent les murs et réveillent les voisins. Des bagarres éclatent, des quartiers entiers se déchirent, et même entre ronfleurs les registres les plus aigus s’opposent aux registres les plus graves.
Solexine, quatorze ans, n’en peut plus, ses parents grognent, hurlent, crient de jour et de nuit, s’accusant l’un l’autre et morts de fatigue au matin avant d’aller au travail qu’ils n’ont plus. Solexine en a marre, claque la porte, son oreiller sous le bras, et va s’installer à dormir chez Luna son amie la voisine.
Au palais, le petit dictateur Perlimpinpin de Macrouille jubile car plus la population se déchire, plus il peut faire ce qu’il veut, dicter ses lois et ce qu’il aime : faire saliver ses sujets et leur interdire le plus de choses possible, leur faire peur et les rassurer, faire peur — rassurer, faire peur —rassurer. Ils ne savent plus où donner de la tête et pas question de prendre l’air quelque part au soleil à la montagne à la mer ou chez les Espagnols comme le faisaient les anciens car, à son investiture,Perlimpinpin « Tout-en-un » a rasé les congés. Ce qui rend tout le monde complètement maboule et lessivé. Lessivés, hargneux et maboules sont les citoyens sujets.
Cela ne se ferait pas sans l’aide précieuse de sa conseillère en chef la boulotte Jacotte Attala dite « La Magouille », d’Edouard Syphillis son premier des fripouilles, du chef des bastonnades Castanouille dit « La Couille », du maître des maîtresses d’école Blancouille, de la boss des bosseurs Pénicouille dite « La Bafouille » qui fait bien rire tout le monde avec ses phrases sans queue ni couille, de son économe Bruno Lemerdouille le bien nommé, de sa porte-voix Sibeth la pas fine dite « La nouille », de ses meilleurs amis les marchands de Macdouille et de de Cocouille Bernard Arnouille et François Pinouille, et enfin de sa face cachée Marine Quenouille de La Main Leste payée à faire la méchante pour rendre gentil tout doux notre ci-devant Uber Perlimpinpin de Macrouille.
Bref, tout le monde est devenu maboule et Solexine dort chez Luna sa copine depuis que ses parents chômeurs sans travail se disputent nuit et jour à cause des ronflements.
Once upon a time un jour qu’elle fait son stage pédagogique de troisième dans l’usine Macdouille, sa curiosité la conduit aux abords des bureaux du directeur monsieur Arnouille. Au détour d’un couloir, Solexine surprend une conversation entre celui-ci et une dame dont elle ne voit ni visage ni bouille. Elle a déjà entendu cette voix quelque part. S’approchant avec précaution, elle distingue, cadrées par l’entrebâillement de la porte, de luxueuses louboutines effilées, son impression se confirme : c’est Attala La Magouille conseillère du Prince Macrouille et de ses prédécesseurs depuis des dizaines : le vicieux Sarkouille dit « L’embrouille », l’incapable Françouille dit « La bidouille », et de bien d’autres avant et avant, Chiracouille le raide et Mitterrouille le fourbe. Or, Ils parlent Affaires, Secret, Argent, et d’un élixir tout neuf à mettre au point dans les laboratoires à trouvailles avant l’arrivée prochaine de Perlimpinpin. « Tout-en-un » doit visiter en grand ramdam l’établissement au nez de ses télés et de ses internets pas nets pour que tous ses sujets, ses adjectifs et ses compléments d’objets se rassurent, le voyant si sûr et les yeux sans rien dedans.
De retour chez les parents de Luna (car les siens propres se hurlaient encore sur le dos elle les entendait à travers la porte), Solexine fait part de son aventure à son amie et lui propose de se laisser enfermer le soir, avec elle, dans l’entreprise Macdouille pour voir ce qui s’y trame et complote. Luna, pas si fière, se dégonfle elle a la trouille et conseille à son amie d’en faire autant, qu’il pourrait bien lui arriver malheur une amende salée pour ses parents et jamais son brevet des collèges dans la poche. En plus elle avait fait des crêpes.
Solexine n’aime pas les crêpes mais de la bonne viande saignante et la quantité si possible… elle serait peut-être restée à diner dans ce cas, ça dépendait de la sauce.
Pour l’heure, c’est la nuit, l’entreprise dort… ou semble dormir car à l’étage, au bout du couloir, sous la porte du laboratoire à trouvailles, filtre encore de la lumière. Dépassant le panneau « Danger de mort défense de dépasser cette ligne sinon tant pis pour vous », Solexine se fait la plus discrète possible. Son cœur percute et ses pieds s’enfoncent dans la moquette moelleuse comme la pelouse du Parc des Princes. C’est la première fois qu’elle ose braver un tel interdit. Par le trou de la serrure, Solexine découvre avec horreur une scène diabolique : des petits singes, emprisonnés dans des cages de verre et coiffés d’électrodes, sont gavés de Macdouille auquel des personnes masquées et blousées de blanc, surveillées par Castanouille La Couille et son assistante Sibeth La Nouille, mélangent un élixir verdâtre tiré d’un flacon où on peut lire « Coronouille ». Solexine ne peut s’empêcher de penser aux histoires contées par ses parents, de l’époque où, gamins, ils avaient dû passer des années enfermés chez eux, respirant une fois sur deux, à recevoir les cours de math et la géo par lesInternets.
Certains singes sont éveillés, d’autres dorment… et ronflent. Sur chaque cage, des graphiques et des flèches indiquent les doses de Coronouille ingurgitées par chaque petit primate prisonnier. Solexine remarque que plus les doses d’élixir sont élevées, plus les animaux ont du mal à respirer et ronflent bruyamment. Certains, couchés par terre, ne respirent même plus, comme trépassés sans plus de jus.
En haut de la porte les hélices du ventilateur coaxial tournent à dix-mille à l’heure. Solexine sait que le petit moteur qui les fait tourner n’est pas très puissant, dix-neuf watts pas plus. Elle saisit, dans son sac, la Go Pro qu’elle avait apportée à tout hasard, et grimpant sur la grosse bobine rouge à tuyau d’incendie elle se hisse au niveau de l’aération. Attrapant son Bic quatre couleurs dans la poche extérieure du sac, elle l’introduit dans le ventilateur. Les hélices stoppent illico. Solexine les fixe avec son chewing-gum, laissant un espace suffisant pour y introduire sa Go Pro.
Redescendue de son perchoir, Solexine s’assied sur la moquette coussineuse du couloir et connecte son why-phone à sa caméra. Pendant des dizaines de minutes, elle voit à distance les horreurs qui se déroulent derrière la porte et en fait part, par les ondes, à Luna là-bas, à quatre pattes sur son canapé et ses parents inquiets, qui assistent en chœur sur son why-phone, au sidérant spectacle.
Happée par l’écran, Solexine en a oublié de surveiller la batterie de sa caméra. Quand celle-ci se retrouve à plat niveau zéro pour cent, tout s’arrête, et le petit diaphragme de l’objectif, se fermant automatiquement, produit un BZZZ assez fort pour que, dans le labo des horreurs, les tortionnaires animaliers stoppent immédiatement leurs occupations criminelles et se précipitent vers la porte. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Castanouille La Couille immobilise l’espionne d’une clef de bras apprise la veille au soir avec ses camarades de la BAC dans une soirée boit sans soif. Hélas, la jeune fille n’a pas le réflexe de lui donner un coup là où ça le ferait réfléchir, comme elle l’apprend à son cours de krav maga du mardi soir après le collège.
La traînant dans le labo, les deux fripouilles, Couille et Nouille, la scotchent au chauffage et lui font ingurgiter de force une ration de Macdouille imbibée d’une bonne dose de Coronouille. Ils lui souhaitent bonne nuit et, avant de sortir, ordonnent aux blouses blanches masquées de lui injecter directement à la picouse une nouvelle dose de Coronouille dès qu’elle se réveillera. Solexine s’endort, prise d’un énorme ronflement.
Projetant d’aller arroser ça au Speakeasy, Nouille et Couille sortent de l’usine au volant de leur Ferrari F 430 Spider F1 en se payant une belle tranche de rigolade à la santé de leur nouvelle victime qui, là-bas, dans le secret du labo à trouvailles, s’époumone bruyamment à l’unisson de ses captifs petits camarades d’expérimentation.
Un bout de temps a passé. Solexine commence à bouger, une main, un genou, une paupière… l’une des blouses blanches masquées le remarque. Celle-ci se saisit immédiatement d’une seringue, et suivant l’injonction des deux fripouilles, à cette heure en pleine chouille, tire une bonne dose de Coronouille d’un flacon et s’approche de Solexine…
Alors que l’aiguille va s’enfoncer dans la peau de la jeune fille, la porte explose d’un coup si fort que les petits primates, d’allongés ronflants qu’ils se mouraient, se retrouvent cois sur leurs culs assis et exorbités des yeux, ahuris devant la porte en mille cinq cents morceaux.
C’est Luna et ses parents. Les deux adultes et leur fille neutralisent les trois cerbères en blanc qui n’opposent que peu de résistance, pas mécontents finalement d’arrêter ce manège qu’ils n’acceptaient qu’un peu. Mais comment faire quand on risque de se retrouver au chômage sans boulot ni occupation du tout et les enfants à nourrir et tellement de choses à dépenser les Nikouilles et toute les bidouilles.
Bref… Munis de toute la réserve d’élixir et d’un paquet de seringues, jeunes et vieux enfants foncent aux cuisines et aux chambres froides où sont entreposés les petits fours de Macdouille de Luxe et le Cocouille millésimé, prévus pour le buffet en l’honneur de la visite de Perlimpinpin Tout-en-un. Four après four, bouteille après bouteille, ils injectent à la seringue de bonnes rasades de Coronouille. Le travail fait et bien fait, ils quittent sur les orteils l’entreprise à présent endormie…
Maintenant on est demain même lieu pas même heure. Les moteurs chauds des berlines craquent encore sur le parking des établissements Macdouille et consorts. Perlimpinpin de Macrouille pavane, entouré de son armada en cul et couille au complet : Attala la boulotte ci-devant conseillère du présent président et des passés trépassés, Castanouille La Couille encore saoul fin bourré comme un goret, Siphillis Edouard premier des fripouilles, Pénicouille La Bafouille (tout le monde se marre), Blancouille Le Chauve maître des maîtresses, Bruno Lemerdouille fond-de-teinté de près, Marine Quenouille de La Main Leste, Sibeth La Nouille tout est dit… des journalistes et des caméras triées sur le volet, les médias de la terre, les hélicos des airs, les vaisseaux de la mer, tout ce que l’univers compte de consensus et de sucettes suit la Grande VisiteImpériale.
Avant le discours on badine, on rigole, on s’esclaffe, on trinque avec une coupe de Cocouille millésimé et on mange du boutdes lèvres pincées les canapés Macdouille De Luxe devant les caméras.
Dans la télé du salon, Luna, ses parents et sa copine Solexine sa voisine, voient, comme tous les citoyens sujets à cette heure imposée, un spectacle étonnant pas piqué des mygales : le petit dictateur Uber Perlimpinpin de Macrouille apparait devant l’immense tenture bleue frappée en lettres d’or de la devise « Tout En Un », chère à son cœur et à ses rameurs. Il va s’exprimer.
D’abord appliqué et bien ânonné, le discours princier est perclus de ronflements de plus en plus rapprochés et, devant la cour des magouilles effarée, se transforme en horribles grognements que ne renierait pas, à l’heure de la distribution du fourrage, l’étable où vont manger les cochons.