Contribution de Violette, via Main Tenant
Chacun vivait dans son coin face à ses écrans, ses angoisses, son frigidaire.
Je n’étais pas là, c’est ce qu’on m’a raconté. C’est un monde incompréhensible aujourd’hui. Un monde à l’envers, on préférait marcher sur un tapis de marche que dans la rue, parler à un objet plutôt qu’à ses semblables.
Chacun n’avait personne. Il avait même oublié le délicieux frisson d’une main sur sa peau. Il vivait sans chacune, ou si avec des centaines sur des sites de rencontre, aucune à vrai dire.
On m’a raconté que cette solitude ne le faisait pas souffrir, au contraire il s’enfermait derrière une porte blindée, craignant un coup de sonnette fortuit.
Nos archivistes ont des preuves de ce que j’avance. Aujourd’hui, cela vous paraît incroyable, mais c’est vrai.
Il existait des millions de chacun, isolés dans leurs boites confortables, empilées dans de vastes rectangles de béton. Un petit esprit de l’époque expliquait cette aberration avec ces mots : Ce qui est mis à jour, c’est notre désert intime, notre inquiétude fondamentale liée au vide profond que nous essayions de dissimuler. * Quelle vie misérable ! Désert ! Inquiétude ! Vide !
Evidemment, la RUPTURE s’est imposée.
Nous avons fait la guerre à ces mœurs individualistes, mortifères, calamiteuses.
Seuls nous ne sommes rien, et tous, comme dans une ruche laborieuse, participons à l’édification de notre glorieuse ESPÉRANCE.
Le mot « chacun » a été banni de notre langue. L’intimité, l’intériorité, l’inconscient ont été extirpés de nos âmes. « Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre ! » proclame notre Berger.
Chers fidèles, nous marchons en cadence dans la même direction, nous n’avons qu’un seul mot d’ordre : ENSEMBLE !
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* Claire Marin, Rupture(s).