Et surtout ne pas s’écrire

Contribution de On-arrête-tout, via Main Tenant

Chacun vivait dans son coin et des coins, il y en avait plein. Des carrés, des ronds, des creusés, des peu profonds. La règle était de ne pas se parler, pas s’écouter les uns les autres, pas se marcher dessus. Se marcher dessus était d’ailleurs quasiment impossible : aucun chemin ne nous reliait. Et surtout ne pas s’écrire. Certains l’avaient bien acceptée, cette règle, d’autant plus qu’elle nous préexistait. Dans la phrase précédente, il y a ce mot en trop, que je dois supprimer. Mais je ne peux pas revenir sur ce qui est écrit. Ça ne l’est que pour moi. Nous, d’où venait-il, ce mot ? D’un souvenir ancien presque effacé ? J’apprendrai que les souvenirs ne s’effacent pas. Venait-il d’un discours, d’un ordre, d’une simple addition ? Ma table, ce qui me servait de table, était encombrée de mots épars, collés les uns aux autres, parfois attachés au bois du plateau. Nous, ce mot venait du futur. Je ne le savais pas encore. Je ne savais pas qu’on pouvait avoir des souvenirs du futur. Pour être honnête, ma table de travail est un sacré foutoir. * Quatre syllabes et douze syllabes. Et la phrase a changé un peu, encore un peu. Convergent de tous coins les papiers griffonnés. Il n’y a plus chacun, il n’y a plus qu’un tas. Il suffit d’un courant d’air, tout repartirait, les mots des uns, de moi, des autres, alors de toi. C’est cela qui a tout changé. Avant il n’y avait pas toi, personne ne le savait. Chacun croyait remplir son coin et, c’est selon, sa table. Mais l’arrivée de toi a tout distribué d’une façon nouvelle. Et ce son, là, ce nous, veille depuis ce temps. Avec toi, c’est le nous qui répartit l’espace, ne m’emprisonne pas, nous libère au contraire. Le moi peut faire nous avec autant de toi et peut en changer l’ordre sans jamais oublier qu’il joue avec ensemble.

 

* Mathieu Riboulet, Les portes de Thèbes.

 

Merci au blog Main tenant qui a relayé cette consigne et à ses lecteurs qui ont été nombreux à répondre à l’appel !