La lumière sur ta peau est bien supérieure

Contribution de Colette via le Décaméron

— Tu vas y aller ?
— Pas encore pris de décision.
— Pourquoi ?
— Mais parce que j’ai peur pardi !
— Peur ? De quoi ?
— De nous voir vraiment tous ensemble. Cela peut très vite déraper. Devenir violent, agressif, je ne sais pas trop en fait…
— Tu n’es pas curieuse toi ! Souviens-toi de ce que nous a raconté grand-mère avant de s’éteindre. Elle ne parlait que de moments heureux, des embrassades, des sourires, des regards, des rires. C’est parce qu’elle n’en pouvait plus d’avoir été privée de tout cela qu’elle s’est arrangée pour être emportée elle aussi avec la vague des morts du virus en se disant au moins là nous serons ensemble.
— Ensemble c’est bien beau mais pour quoi faire ?
— Se parler, se regarder, se toucher, partager un repas, rire, jouer dans les jardins ou autour d’une table, rencontrer des corps à caresser, à aimer, jouir ensemble.
— Tu parles d’un programme, la plupart des choses que tu me décris, on les vit assez bien derrière nos écrans, et celles qui ne peuvent être virtuelles me font trop peur, se toucher, caresser, jouir. Non, non même si je me souviens des étoiles qui brillaient dans les yeux de grand-mère quand elle parlait de tous ces moments qu’elle avait vécus, je crois que je n’ai pas la force.
— C’est dommage j’aurais tellement aimé retrouver la douceur de ta peau, tu te souviens ?
— Vaguement c’était il y a si longtemps ! Je me suis habitué que veux-tu. Enfin avant que tu n’ailles les retrouver viens sonner à ma porte, j’essaierai de te l’ouvrir, car avec toi quand même je sais qu’il n’y a pas grand danger à redouter.
— Ouais tu me fais vraiment plaisir, je vais venir mais après j’irai là-bas, même si tu ne m’y accompagnes pas, j’en ai trop envie, revoir des êtres ailleurs que derrière un écran où que des fantômes qui se hâtent dans la rue en se gardant bien de se manifester et te rendant coupable de t’y trouver aussi pour quelque besoin urgent. Ne plus être suspect où suspicieux.

Noé sonna trois fois pour s’annoncer, comme dans un passé très lointain, du moins il avait aussi appris la pratique de ce code de sa grand-mère. Une jeune femme brune entrouvrit la porte, le souffle un peu court qui traduisait une immense émotion.

— Julia, enfin ! Ton regard en direct, je peux entrer ?
— Oui, la lumière sur ta peau est bien supérieure à ce que me révélait l’écran à travers lequel nous étions en contact, entre. Depuis le temps que nous communiquions, je croyais te connaitre parfaitement, mais non ce n’était qu’une image que je connaissais. Te voilà de chair et d’os cela me donne le vertige, ton regard me réchauffe j’ai froid depuis si longtemps, j’ai envie que tu m’apprivoises.
— Tu vois il ne faut pas avoir peur, c’est promis je reviendrai, je prendrai du temps pour le petit renard qui vient de se réveiller.
— Pas si vite, attends-moi les renards sont très curieux, je le sais, alors je vais marcher avec toi vers ce lieu où nous allons pouvoir redécouvrir ce que représente Ensemble.
— C’est inespéré tu semblais si rétive à cette idée.
— Il faut savoir changer d’avis, après tout qu’avons-nous à y perdre, tu as peut-être raison.

Ils se dirigèrent côte à côte vers le parc ou était autorisé ce premier rassemblement. Une foule y affluait, colorée, parfois un peu de réticence à se rapprocher, puis la musique s’en mêla, les jambes prirent le rythme, une immense farandole se forma. Les rires explosaient, des sortes de sanctuaires accueillaient des photos de personnes radieuses assez âgées pour la plupart. Ils n’avaient pas oublié d’associer les morts de cette épidémie à leurs retrouvailles.
Noé et Julia s’enlacèrent tout naturellement, s’embrassèrent et leurs regards laissaient imaginer la suite qu’ils donneraient à cette fête, certainement pas un retour à leurs solitudes. Ils avaient envie d’être ensemble eux d’abord, puis avec ceux qu’ils croisaient ce soir, avec qui ils échangeaient des idées, comment vivre pour les jours à venir, comment reconstruire, partager, inventer du neuf en se souvenant des fausses pistes.
L’Espoir venait de naitre de ce moment où ils s’étaient trouvés Ensemble.

 

Merci à la cie Superlune qui a relayé cette consigne pour le final de son Décaméron et à toutes celles et tous ceux qui ont répondu à l’appel !