Contribution d’Ophélie via le Décaméron
A chaque évènement inattendu, abrupt et douloureux, un phénomène incroyable se produit… on se rassemble… Les concentrés d’humanité s’extirpent des corps et les entraînent sur des places, aux fenêtres, dans les rues ou tout simplement autour d’une table… La vie sursaute et nous réveille, nous nous reconnaissons comme frères d’une même espèce et sans effort aucun sentons soudain l’envie irrépressible d’être ensemble pour faire front à l’inenvisageable… périr. On redécouvre le besoin viscéral de l’Autre, de ceux qu’on aime bien sûr, mais aussi de ceux avec qui l’ont fait société. On voit des visages inconnus qui se réchauffent d’un sourire, se soutiennent d’un regard entendu, quand quelques jours plus tôt, trop pressés nous ne prenions pas même la peine de lever la tête pour gratifier le voisin d’un bonjour ou la caissière d’un merci… On s’affranchit momentanément des dissensions, on efface l’ardoise des rancunes, les plus légères s’envoleront définitivement les autres reviendront sourdre plus tard… mais pour l’heure la peur annule la dette.
L’urgence de vivre ramène à l’essentiel :
Nous sommes individuellement fragiles. Nous avons besoin les uns des autres. Et nous sommes capables, au pied du mur de déployer, le respect, l’entre-aide et la bienveillance dont nous aurions besoin au quotidien pour développer un monde meilleur.
Souvent ces évènements s’effacent, imprimant une sensation indélébile en chacun de nous mais laissant s’évanouir dans son sillage les ardeurs humanistes. C’est normal, on ne peut pas vivre chaque jour comme si l’on allait mourir, nos cœurs n’y résisteraient pas.
En revanche, cette fois-ci je me prends à rêver.
Cet évènement inattendu, fruit de nos dérèglements parasites, nous ramène à nos besoins primaires. Être en bonne santé, pouvoir respirer, manger, boire, dormir, avoir un toit, aimer, communiquer. Il nous prouve que quand nous ne sommes pas là, la nature danse de nouveau de façon fulgurante. Il met ironiquement en exergue ce qui est véritablement essentiel pour le bon fonctionnement de notre État. L’imbécilité profonde et la dangerosité de la déconstruction d’un système social et public pensé pour être égalitaire, protecteur et efficace, les limites de la mondialisation et de la délocalisation à outrance menées tambours battant depuis des décennies, et s’il était encore besoin de le prouver, l’indécence de nos gouvernants qui enjoignent d’applaudir ceux qu’ils violentaient par matraques interposées il y a peu, leur refusant des conditions de travail et de vie décentes. On ne peut pas ne pas le voir, on ne peut plus se diviser à ces sujets. Eux-mêmes sont obligés de l’admettre.
Je me prends à rêver car cette situation dramatique nous offre quelque chose de précieux auquel nous ne pensions plus avoir accès un jour. Elle nous offre le temps. Nous sommes mondialement contraints à nous arrêter et à réfléchir. A nos modes de vies, à nos erreurs, à notre avenir.
Alors j’espère que dans quelques années, nous dirons à nos petits enfants :
« Chacun vivait ans son coin, et puis l’épidémie est arrivée, et puis elle est partie, et nous étions ensemble. »