Pashdi

Contribution d’Isa, via Encrelignes, Boissy-Saint-Léger

 

Je ne suis pas tout petit.
Mais je ne suis pas très grand non plus.
Je suis Pashdi, l’éléphanteau sans défense.

Au milieu de mon troupeau, quelquefois,
Je suis triste.
Je me sens seul. Si seul. Différent.

Ils sont tous tellement plus grands.
Géants inaccessibles.
Et tellement lourds.

Leurs défenses d’ivoire éclaboussent comme des diamants.
Et les miennes se sont perdues dans le vent.
Leur trompe touche le ciel.
Et la mienne est si petite.

Maman m’a dit que je deviendrai comme eux,
Un jour.
Aussi grand, aussi gros, aussi lourd.
Aussi imposant.
Je n’en crois pas un mot.
Je ne veux pas leur ressembler.
Ils ont l’air si seuls, eux aussi,
Géants sans âge.
Chacun dans leur coin. Chacun de leur côté.

Ce matin, juste avant que le soleil se lève,
J’ai bien senti qu’il se passait quelque chose.
Mon papa palabrait dans le noir, plus loin.
Sa conversation m’échappait. Sa voix était grave.

Mais moi, j’étais content. Tout excité.
J’allais avoir un petit frère. Je l’avais tellement espéré !
Un alter ego. Un compagnon à ma taille.
Un complice de chatouilles et de rêves.
Un arc-en-ciel dans ma vie.

Dans mon sommeil, j’avais fait un drôle de voyage.
Je chevauchais des dunes de sable,
Les mêmes que sur les cartes postales.
Alors il m’est apparu, venu de nulle part,
Volant vers moi,
Majestueux et léger,
Tendre et accueillant.
Le prophète du bonheur, le roi du soleil, des mers et des étoiles.
Il me tendait les bras.

C’était l’éléphant blanc, le prince du destin…

— Ne sois pas triste demain, Pashdi !
Ne sois pas triste ! Je suis là !
Je te protège ! Garde confiance !
Sois fort !
Je reviendrai. L’avenir vous guérira.

Et puis il s’était fondu dans le ciel, comme un mirage.
Comme un nuage.
En veille.
Je n’avais pas compris.
Mais, dans un rêve, on ne cherche pas à comprendre.

J’ai poursuivi ma cavalcade de sable
Et j’ai senti la dune gronder.

Alors… Il y a eu un cri.
Et je me suis réveillé.

Dans le soleil levant,
J’ai entendu ma maman pleurer tout doucement
Tout doucement.
Elle se reposait, au pied d’un arbre, sous la lune.
Noyée dans son chagrin.
Mon papa, un peu plus loin, tout seul,
Cachait le sien, sous les nuages gris.

Autour d’eux, transpirait l’absence.
Un grand vide.

Depuis, je suis là tout seul.
Je n’ose pas bouger.
J’attends. Je ne sais pas quoi.
J’attends.
Et mon ventre fait des nœuds.

Je suis seul au monde. Avec ma peine.
Dévasté. Je ne suis plus qu’une plaie.
Une faille. Profonde et heurtée.
Je ferme les yeux.
La dune chancelle avec moi.
La tristesse me consume.

Au-dessus de moi, l’éléphant blanc
Sort de son nuage de brume
Et me prend par la main.
J’ouvre les yeux.

Autour de ma maman qui se repose,
Tous les éléphants du troupeau
Ont formé sans un mot sans un bruit,
Ensemble,
Un cercle parfait,
De toute leur majesté.

Et, devant moi,
Dans un geste d’une infinie douceur,
Chacune et chacun, à l’unisson,
Lève sa trompe et la pose sur son dos meurtri.

Plus personne ne bouge.
Quelqu’un m’a poussé
Tout près tout près d’elle.
Et à mon tour je pose ma trompe,
A côté de celle de mon papa,
Tout doucement, sur sa tête.

Dans ses yeux où la mer continue sa course,
Je vois l’éléphant blanc qui me sourit.

Nous restons tous, là, avec elle.
Le temps s’est arrêté.

Je n’oublierai jamais la couleur du ciel
Et du nuage de bonté
Qui la berce
Qui nous berce alors
Tous ensemble.

 

 

Merci à l’association encrelignes qui a fait vivre cette consigne malgré l’annulation forcée des ateliers !