Revivre

Contribution de Mireille, via Encrelignes, Boissy-Saint-Léger

Chacun vivait dans son coin : tristesse, solitude, mélancolie, désolation étaient les maîtres mots du moment.
Je peux en témoigner, moi, Piou-Piou. Qui suis-je ? Juste un petit moineau, sans âge, tout gris et beige, tout riquiqui, douce boule de plumes toute ronde, sautillante, virevoltante au gré de mon humeur et de mes envies, ivre de libertés et aimant la vie.
Moi Piou-Piou je m’enorgueillissais de vivre dans les beaux quartiers d’affaires de Paris : le chic du chic pour un petit moineau sans importance. Mais voilà depuis quelques jours je me retrouve isolé, perdu dans ce décor de béton et d’acier. Je prenais tant de plaisir à regarder aller et venir tous ces humains affairés, ignorant le plus souvent ma petite existence, et dont le seul but était d’aller gonfler leur compte en banque !!

Mais que s’est-il passé ? Du jour au lendemain plus de passants stressés, accrochés à leurs attachés-cases, plus d’acheteurs scotchés à d’alléchantes vitrines illusoires.
Quartier mort, méconnaissable et pour moi pauvre Piou-Piou spectacle inimaginable : tables désertées, nourriture envolée, vie désorganisée.

Une très vilaine rumeur court : l’invasion d’une méchante bestiole nommée covid 19, encore plus volatile et bien plus riquiqui que moi menace toute l’humanité et ainsi a fait fuir de mon quartier hommes et femmes, tous ceux qui sans le savoir nourrissaient mon petit ventre.
Même un appétit d’oiseau, si petit soit -il reste un appétit à contenter !!
On décrit cet envahisseur comme coiffé d’une couronne, couronne d’épines alors…

Quel plaisir pour moi de voir s’attabler à la pause de midi tous ces affamés de la vie !!
On nous qualifie de piailleurs mais ce n’est que roupies de sansonnet à côté de toutes ces belles personnes qui rêvaient de changer le monde : balivernes à ce jour !!!
Plus de miettes à aller picorer, pour nous les téméraires du chapardage, sur ces belles assiettes garnies de victuailles.
Depuis j’erre lamentablement, sur ce bitume angoissant, croisant parfois un de mes compères tout aussi désœuvré et affamé que moi.
Que me reste-t-il comme espoir ??
Prendre mes plumes à mon cou et voler loin très loin de ce monde sans vie.
Mais où ?
Certains humains rêvent de plages, moi ce seraient parcs et jardins fleuris, squares animés.
Oui j’en ai l’eau au bec !!
Je me vois bien au milieu d’enfants se régalant de pains au chocolat, de gaufres et autres gourmandises dont quelques miettes feraient bien mon quatre-heures.
Au détour d’un arbre, aussi penaud et désolé que moi, j’invite mon seul et dernier copain d’infortune, Piaf de son petit nom, à m’accompagner dans mon voyage. Mais après une courte conversation il remet très vite mes idées en place et mes belles plumes au repos.
Tout est déserté mon petit Piou-Piou me dit-il : plus d’enfants, plus de jeux, plus de rires, donc plus de miettes !!
Où retrouver alors cette liberté de vie qui m’est si chère ?

Allez Piou-Piou, secoue tes plumes, stimule ta tête de petit moineau, agite tes petites pattes si fines.
Rien n’est impossible. Prends ton envol et ose, ose partir : Est, Ouest, Nord ou Sud de Paris ? Qu’importe !! Du vert, des arbres, des fleurs m’attendent quelque part.
Adieu buildings déshumanisés !!!

Ouf, me voilà posé, fatigué mais heureux. Où suis-je ??
Mystère, surprise…
Perché sur mon bel arbre où quelques bourgeons commencent à pointer leur nez, je revis enfin. Tout est calme et sent bon la nature. Je respire enfin.
Mais je suis seul encore !!
Mon regard cherche un signe de vie alentour. Rien ne bouge. Belle maison, beau jardin en contre bas. Même ici les humains auraient ils déserté les
lieux ?? Patience mon petit Piou-Piou, repose-toi après un si long vol !! Mon petit œil fermé, mes plumes sagement rangées, seule mon oreille demeure aux aguets.

Puis quelque chose est arrivé !
Quel est soudain ce bruit qui claque dans ce silence apaisant ?
Une fenêtre s’ouvre, suit le doux frémissement des pas d’une jolie petite fille, avançant les bras chargés d’un petit seau rempli de graines et de belles boules de graisse bien appétissantes. Tout en délicatesse, elle vient accrocher son précieux butin à un bel arbre perchoir tout près d ‘un nichoir accueillant.
Suis-je arrivé au paradis des oiseaux ?

Soudain brisant cet air léger d’insouciance, une nuée de moineaux à mon image, d’élégants chardonnerets, de mésanges bleues, de rouges-gorges coquins, se frôlant dans un joyeux vacarme de piaillements et de gracieux chants, se précipite vers cette aubaine distribuée.
Je me lance à mon tour, même si je me sens tout petit Piou-Piou, nouveau venu dans ce jardin d’opulence, véritable Eden de verdure. La faim me tenaille, j’ose le tout pour le tout. On m’accueille avec un peu de méfiance mais on me permet amicalement de m’accrocher avec agilité à ce perchoir improvisé, fabuleux garde-manger. Je surmonte avec témérité quelques frayeurs, car il faut un peu jouer des coudes, si je peux le dire. Merles tout de noir vêtu, pies en habit de gala, tourterelles à la robe si délicate viennent quelque peu semer la zizanie et imposer leur loi. Mais finalement tout rentre dans l’ordre et le festin se poursuit dans la gaieté. Même le passage d’un gros matou noir laisse notre troupe indifférente. Je retrouve la joie du partage, le bonheur de la fraternité.
Tous différents nous sommes… !! Oiseaux de toutes espèces venus de près comme de loin, mais tous ensemble réunis dans un seul but : vivre notre vie pour le meilleur comme pour le pire, mais en bonne intelligence !!!

Retournerai-je un jour dans mon ancien territoire, ma Défense ?
Retrouverai-je alors tous mes anciens copains Piou-Piou ?

Mon avenir reste encore bien incertain…

 

 

Merci à l’association encrelignes qui a fait vivre cette consigne malgré l’annulation forcée des ateliers !