Un tressaillement dans la musique humaine

Contribution de Marion via le Décaméron

Les sentiers, les chemins, les routes de terre ou de bitume, leurs voies de passage sur le nôtre, devenu hiatus dans le leur. Nos voies et nos voix réduites à néant devant les géants de chair et de fer, de bruit, de fumée jamais arrêtés, en l’air, en mer, en terre, en dessous, au-dessus, au-dedans d’elle. Des panneaux nous signalant à eux, comme des gestes protecteurs en notre faveur, grimace d’un mépris chronique. À nous la méfiance intelligente et craintive inscrite en-dedans, codée dans nos gènes et coulant dans nos veines sauvages. Contraints dans l’espace qu’ils daignèrent nous laisser pour chasser, nous faire chasser, nous sustenter, nous abriter, nous reproduire, assurer un semblant de continuité.

Être sur le qui-vive, au-delà de notre nature originelle. Être aux aguets de quelque chose d’inerte, de non pensant, de non vivant. Être à l’affut de la vitesse assassine, comme si cela importait plus que tout autre chose. Asphyxier la terre, abattre le bout arboré de ses doigts, éventrer la montagne, scalper ses versants, hameçonner ses cimes, scruter la canopée comme si elle leur appartenait, comme si elle était leur jardin d’hiver. Une simple véranda devant leur maison aux murs extensibles. Filtrer l’air et l’eau au couperet. Dessiner des frontières entre nous et entre les leurs pour leurs déplacements spéculatifs, économiques puis avoir besoin de ce même mouvement pour se reposer de ce rythme effréné, convalescence d’avoir tout vidé et de s’être coupés de nous tous et d’eux-mêmes. Cannibales de leur propre mémoire.

Et puis soudain, un tressaillement dans la musique humaine, un faux pas dans la valse morbide et il sembla que celle-ci vacilla pour laisser place à un silence sépulcral. Puis d’une oreille plurielle, une mélodie de vie, notre chant étouffé retrouvant ses esprits, une capacité d’inspirer que l’on croyait éteinte. Alors, d’un entrain fébrile et ardent, chacun sorti de son coin, traversant les anciennes frontières, saluant les nôtres oubliés de nous-mêmes, reprenant un pèlerinage ancestral, cheminant au-delà des anciennes frayeurs, entrelaçant un sang autrefois écartelé. Ne pas savoir combien de temps encore à venir. Saisir le temps d’un instant cette respiration pure. Dans un émoi synchrone, prendre un détour et voir ce qu’il se passe.

 

Merci à la cie Superlune qui a relayé cette consigne pour le final de son Décaméron et à toutes celles et tous ceux qui ont répondu à l’appel !