Que nous dit-on dans le « poste » ?
Dans un pays « laïc » depuis le 10 décembre 1905, bien des Français ont quotidiennement leur « grand-messe » : le 20 heures.
Il y avait un bon gros public sur les rouges fauteuils du Cloître ce vendredi 26 février pour le dernier opus de « Trois utopies pour un désastre », travail de relecture de la société commencé par François Chaffin et la compagnie Théâtre du Menteur avec « Nous sommes tous des dictaphones ».
Un grand carré blanc brillant au sol, quelques accrochages de vêtements, de la technique de son directement sur scène, un grand écran et des microcaméras « planquées » un peu partout… et cinq acteurs tout simplement géniaux (Serge Barbagallo, Thierry Barthe, Julien Defaye, Violaine de Carné, Céline Liger) avec la voix du « Boss » qui déclamait de temps à autre des textes incisifs.
Le rendez-vous, nous qui félicitons dans ces colonnes les spectateurs de sortir de devant leur télévision, était la télévision. Ou plus exactement l’information par la télévision. Et ce rendez-vous visait aussi notre profession de journaliste, mais surtout « ceux » qui sont dans le poste.
Certes, pour une première (une seconde en vérité, l’avant-veille le théâtre bourré de lycéens avait fait un triomphe aux acteurs), il y a toujours quelques longueurs.
Peut-être quelques redites, mais le travail va aussi continuer à se peaufiner. La troupe était depuis douze jours à Bellac et a écrit les derniers textes et construit la mise en scène, en espace.
Oui ! Il y a à dire sur la télévision et son omniprésence. Oui, on peut très bien vivre sans elle, mais on peut aussi apprendre à s’en servir. Entre TF1 et ARTE il y a autant de différences qu’entre « Nous Deux » et « Charlie Hebdo » et il n’y a qu’un demi-centimètre de distance entre les deux boutons et les deux hebdomadaires sont sur les mêmes linéaires.
Andy Warhol a dit en son temps : « Avant les médias, il y avait une limite physique à l’espace qu’une personne pouvait occuper toute seule ». Et si les mots étaient forts, ils n’étaient pas dans la « dénonciation » mais dans l’analyse. Oui, les grands médias appartiennent aux marchands d’avions de chasse ou de canons (missiles, c’est plus moderne). Oui, dans notre pays, les « amis » du chef suprême sont partout dans les mêmes médias. Oui, on nous apprend des choses peu signifiantes alors que l’on gomme ou plutôt on n’analyse pas les vrais problèmes.
Et pour mieux rendre ce « fouillis », le jeu des acteurs était comme une loupe grossissante. Pour mettre en scène un livre que l’on lit en deux jours, 1 h 30 suffit. Alors pour faire ressentir ce « non brouillard » dans lequel on nous plonge, les occupants de la scène nous emmenèrent dans un tourbillon avec des positions forcées.
Le grand patron de presse le clamait d’ailleurs vers la fin de la scène : « Est-ce que vous relisez le journal de la veille ? Est-ce que vous enregistrez le journal télévisé ? ». Remplir l’espace, donner l’impression de dire.
Il y a quelques jours, une très bonne émission du service public parlait de « Paris Rive Droite » et restait longtemps sur la « »Place des Vosges » sans jamais parler de l’immeuble vide depuis 45 ans et occupé par « Jeudi Noir ». Rien n’est jamais anecdotique…
Nous ne pouvons, malgré les difficultés grandissantes du monde du spectacle vivant, que vous inviter à suivre des années encore le travail de François Chaffin « auteur contemporain », trublion des habitudes.
Laissons le dernier mot à un facteur qui n’était pas allé au théâtre depuis le lycée : « Putain, c’est efficace ». On reprendra la phrase pour nous.
André Clavé, L’Echo de la Haute-Vienne, 3 mars 2010